par le Docteur Albert Khazinédjian
Le 25 octobre 1931, l’évêque Krikoris Balakian consacra la cathédrale arménienne apostolique, 339 avenue du Prado à Marseille. Il la dédia aux Saints Traducteurs (Serpotz Tarkmantchatz). Les Traducteurs étaient : l’inventeur de l’alphabet, saint Mesrob Machtots, le catholicos saint Sahag 1er, et des moines érudits qui traduisirent l’Écriture Sainte à partir de 406. Krikoris Balakian fit construire la majorité des églises arméniennes de Marseille et de Nice. Il avait reçu sa formation au séminaire d’Armache, qui donna tant de grands hommes d’Église et de théologiens de haut niveau à l’Église arménienne. Il fut un des très rares intellectuels rescapés du génocide de 1915.
Marseille a toujours eu des relations privilégiées avec le peuple arménien, qui lui ouvrit les portes de l’Orient, et même de l’Extrême-Orient, avant, pendant et après les Croisades. Le chevalier Vahan Khorassandjian, anobli par le roi des Belges, mit à la disposition de ses compatriotes et coreligionnaires de Marseille un terrain qu’il possédait au 339 avenue du Prado. Il leur céda ses droits de propriété par amitié pour le diacre Malakian, père du réalisateur Henri Verneuil.
La construction fut confiée à l’architecte Aram Tahtadjyan. Celui-ci dressa les plans de la cathédrale en reprenant les traits essentiels des églises arméniennes. Il s’inspira surtout de la première basilique de la chrétienté, Sainte-Edchmiadzin (érigée en 303), résidence du Patriarche Suprême et Catholicos de tous les Arméniens. La cathédrale arménienne de Marseille se détache par l’originalité de son style dans le paysage des églises de la ville.
Dès 303, de la Sophène à la Caspienne et du Djavakh à Nisibe, les églises se mirent à pousser sur un immense territoire englobant l’Arménie, l’Albanie Caspienne, l’Atropatène, la Géorgie et le sud de l’Ukraine. Non seulement, dès les IVe-Ve siècles, les Arméniens inventèrent le style roman (apparu en Occident au IXe siècle), mais ils imaginèrent aussi les traits principaux de l’art gothique, les arcs, les nervures, les piliers porteurs, les faisceaux de colonnes accolées, les voûtes en ogive, dès les IXe-Xe siècles (le gothique ne verra le jour en Europe qu’au XIIe siècle).
Aram Tahtadjyan conserva, pour la cathédrale de Marseille, la forme basilicale. Le bâtiment est surmonté d’un tambour circulaire, soutenant le dôme central ; et de deux petits tambours, sur les côtés, coiffés de dômes de dimensions plus modestes. Les murs porteurs sont décorés de frises.
Après avoir franchi un narthex surmonté d’un clocheton, on pénètre dans un vestibule puis dans l’église. Celle-ci est formée sur un plan basilical à trois nefs. Le visiteur peut s’étonner de l’absence de statues. Elles sont bannies par l’Église arménienne en souvenir de l’antique idolâtrie. Seuls sont admis les tableaux et les fresques mais après consécration par l’évêque. Dans l’entrée, on remarque l’effigie de la Vierge et l’Enfant.
À gauche, une porte conduit aux étages supérieurs, dont le premier est réservé à la chorale ; à droite une autre porte mène aussi aux escaliers. Au seuil de la nef, à gauche et à droite les cierges, allumés en offrande, éclairent les portraits en pied des apôtres évangélisateurs de l’Arménie saint Jude-Thaddée et saint Barthélémy.
Au centre s’élèvent quatre piliers faits de colonnes accolées. Ils supportent une large coupole centrale sur pendentifs. Ces portions de voûtes tronquées, ménagées entre les arcades, permettent au large tambour à base circulaire de reposer sur le plan carré formé par les piliers. Des ouvertures de la coupole descend une clarté lumineuse teintée des différentes couleurs tombant des fenêtres.
De part et d’autre de la nef, des voûtes latérales prennent appui sur les murs. Deux piliers internes antérieurs s’élèvent de chaque côté de la partie avant de la plate-forme supportant l’autel. Les deux piliers postérieurs sont de ceux qui soutiennent la coupole. Deux faisceaux de colonnes à demi-engagés dans les murs latéraux en arcs doubleaux rejoignent les piliers internes pour façonner une voûte latérale. Des vitraux colorés filtrent la lumière du dehors.
Sur le mur de gauche, tout en haut, un marouflage représente le prince Vartan Mamikonian, en cuirasse, coiffé de son casque et armé. Derrière lui un prêtre, sans doute Léonce le Prêtre (Ghévond Yéretz), brandit une croix. Face à eux, une troupe enthousiaste. Ils se préparent à livrer, à un contre dix, la bataille d’Avarayr contre le roi des rois perse qui voulait imposer le mazdéisme à l’Arménie. Ce 26 mai 451, la petite armée arménienne, arrêtant l’invasion persane, allait sauver la civilisation chrétienne dans le monde. Sur le mur de droite, une autre fresque dépeint une foule en haillons, se tramant et mourant pour sa foi sur les pistes brûlantes de la déportation vers les déserts de Mésopotamie, martyre du premier génocide du XXe siècle.
En face, dans l’abside, le maître-autel trône sur une plate-forme ; placé à l’orient il est surmonté d’une coupole en bois sommée d’une croix lumineuse. En haut des degrés de l’autel est placée une représentation de la Vierge et l’Enfant ou l’image appropriée correspondant à la Résurrection, à Pâques. À gauche, le tabernacle renfermant les Saintes-Espèces ; un lumignon brûlant en permanence signale la présence de l’Esprit.
Devant l’autel on remarque, replié, un impressionnant rideau de velours rouge ; au centre est brodé l’agneau pascal surmonté d’une croix, en fils d’or. Un second marouflage suit les contours du mur de l’abside ; il porte, grandeur nature, les images des douze apôtres. Un chancel de bois sculpté sépare le choeur de la nef. À l’intérieur et à gauche, on remarque le Siège de l’évêque ; à droite, un siège plus bas est destiné à un prêtre ou à un hôte religieux. À gauche du choeur, une chambre contient les fonts baptismaux ; au-dessus de la porte un tableau décrit la Nativité. À droite du choeur se situe la sacristie ; au-dessus de l’entrée, l’artiste a peint la Crucifixion.
Le monument aux martyrs
En sortant du sanctuaire, le visiteur constatera l’existence d’un monument original. Il remarquera un ensemble formé, d’un côté, par une reproduction de khatchkar, et, en face, une pierre de même dimension, portant une inscription, en français et en arménien, entourant une flèche d’acier, au pied de laquelle gît une pierre tombale éclatée.
Cette oeuvre d’art, dont la conception et la construction furent confiées à l’architecte Pirian et au sculpteur Rastklan, dans les ateliers de Madeleine Djelalian, a vu le jour en 1972. Il commémore la mémoire des 1.500.000 Arméniens sur 2.100.000, victimes du génocide perpétré sur ordre des gouvernants turcs de 1915.
La dalle fendue, portant l’inscription : PAIX, JUSTICE, LIBERTE, est le symbole de la résurrection du peuple arménien. Une plaque à la gloire des anciens combattants d’origine arménienne morts pour que vive la France, a été ajoutée à ce monument.
Autres constructions dans l’enceinte de la cathédrale
Se dirigeant vers la gauche du jardin, le promeneur passera devant les bustes en bronze de l’évêque Krikoris Balakian et celui de Vahan Khorassandjian, dûs au sculpteur Rastklan. Contre le mur de clôture un monument et une fontaine. Le bout du périple le conduira au Centre culturel Sahak-Mesrob, oeuvre de l’architecte Edouard Sarxian, élevé grâce aux dons de la communauté, avec, au premier rang, Ardzrouni Tcherpachian, Onnig Haïgazian, Varoujan Bozadjian. À gauche du bâtiment a été encastré un petit monument à la mémoire des combattants arméniens. Le Centre contient les logements de l’évêque, de l’archimandrite, ou du prêtre, recteur de la cathédrale, l’école où les enfants apprennent le catéchisme et l’arménien, la bibliothèque, les salles de réunion et de conférences, etc.
En repartant vers la droite de l’Église, mais à gauche du visiteur, vers la sortie, celui-ci verra un khatchkar élevé en souvenir des héroïques défenseurs du Karabagh et de ceux qui sont morts pour que vive le christianisme, l’Arménie et le Karabagh.